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La piève de la Serra

 

PieveLocalisation de la piève de la Serra (entourée de rouge) avec les villages qui la composaient. (cliquez dessus pour l'agrandir)

carte extraite de la carte © IGN  © géoportail

AMPRIANI

Ampriani vu du reghjone

Matra vue d ensemble

Moita

Pianellu vue generale

ZALANA

Zuani

Qu'est-ce qu'une piève ?

En Corse une piève était une entité territoriale à la fois religieuse et administrative mise en place par l'autorité pisane à partir du début du XIIème siècle. Conservée par les génois et la monarchie française, elle fut transformée en 1790 en canton. La piève était la subdivision d'un évéché, ce qui confirme son caractère religieux, et était divisée en paroisses. Chaque piève religieuse était dirigée par un abbé, le piévan installé dans l'église principale. Son territoire s'étendait sur les paroisses de plusieurs villages et les curés de ceux-ci se trouvaient placés sous son autorité.

Sous Pascal Paoli, la Corse comptait plus d'une soixantaine de pièves dont les structures ont varié au cours des siècles : ainsi la piève de la Serra a compté entre trois et neuf paroisses, celles d'Ampriani, de Moïta, de Pianellu, de Zalana et de Zuani en constituant les éléments les plus présents. A partir du début du XVIIème siècle, ce sont six communautés (celles citées plus Matra) qui constituent la piève de la Serra. En 1779 la communauté de Zalana avait été rattachée à la piève d'Opino (Tallone plus Zalana, donc). Toponymiquement, le Serra désigne des hauteurs de reliefs (crêtes) par rapport aux autres communes situées en contrebas.

Si aujourd'hui le réseau routier a modifié le contexte géographique ( Zuani semble bien éloigné de Matra et aucun lien ne lie ces deux communes, tout comme Moïta)  il n'en n'a pas été de même lors des siècles passés où la piève, dans sa composition, constituait aussi une entité économique dont les liens étaient établis par tout un maillage de voies de communication.

 

La piève de la Serra a connu au cours de son histoire des périodes de prospérité et des périodes plus difficiles. Si les données nous font défaut pour la période médiévale (mais cette partie de l'île a connu des troubles violents liés à la présence des Cortinchi en lutte contre Gênes, comme les relate le chroniqueur G. Della Grossa), elles sont plus abondantes pour la période qui concerne les Révolutions de Corse. La rivalité des Matra contre les Paoli ont alimenté bien des troubles et Zuani a été longtemps considéré ausi bien par Gênes que par la monarchie française comme un village de séditieux: n'oublions pas que c'est au Père Théophile (qui deviendra Saint Théophile) que ce village a dû son salut et n'a pas été rasé par les troupes prussiennes en 1732 (troupes envoyées en Corse par l'empereur Charles VI à la demande de la République de Gênes complètement débordée par la situation). Lors de la deuxième Révolution de Corse, les matristes ont porté le conflit dans les villages de la piève et les combats ont été acharnés: la démographie de ces communautés s'en est d'ailleurs fortement ressentie si l'on juge par l'évolution démographique de cette partie de l'île.

L'âge d'or de la piève semble se situer au début du XVIIème siècle, si l'on se réfère au nombre de tours fortifiées, de maisons de notables et d'églises baroques édifiées dans les villages à cette époque, et ce malgré le péril barbaresque bien présent et redouté (en 1524 Matra et Zuani avaient été attaqués par des Maures ayant débarqué à Aléria).

On a davantage de données sur la période contemporaine (de 1789 à 1950): démographiquement, la piève (devenue dans une configuration différente canton de la Serra en 1790 puis canton de Moïta en 1828) se développe grâce à l'essor de l'agriculture et des industries minières: le maximum démographique est atteint au tout début du XXème siècle, comme le montre le tableau ci-dessous, avant d'entamer un inexorable déclin, accéléré par les deux grands conflits du siècle passé. A partir de 1960, la piève est démographiquement exangue et seules subsistent quelques activités commerciales (cafés, épiceries), de service (école, gendarmerie et service postal) ou d'élevage (Pianellu, Zalana) associé à la fabrication du fromage ou de charcuterie. A l'aube du XXIème siècle ces maigres activités périclitent aussi: les écoles ont toutes été fermées par mesure de carte scolaire, la gendarmerie a quitté Moïta et les agences postales sont devenues symboliques.

Recen 2

Ci-dessous, 1769: premier recensement fait par la France qui vient de "récupérer" la Corse depuis peu (par le traité de Versailles le 15 mai 1768)

Recensement de 1769source: © Archives départementales de la Corse du Sud

De par des conditions naturelles relativement favorables, la piève de la Serra a connu une certaine prospérité économique avec des activités en lien avec sa spécificité rurale (absence de villes de proximité comme débouché exclusif): l'agriculture et l'élevage ont de tout temps constitué les deux piliers de l'économie de la piève. Toutefois, si les conditions sont satisfaisantes dans le contexte insulaire, il n'en demeure pas moins que l'évolution des structures et des mentalités a été en retrait par rapport à d'autres contextes: ainsi, les agents chargés de l'établissement du plan terrier en 1795 ont été surpris de voir l'archaïsme et la faible rentabilité des structures agraires de ces villages ( troupeaux abâtardis, moulins en mauvais état, manque d'instruction) (voir ICI l'article sur le plan terrier de la piève). Il est vrai qu'à cette époque la piève sortait d'un long conflit qui avait laissé des cicatrices douloureuses dans la population. Pour autant, cette micro-région, comme on la qualifierait aujourd'hui, était considérée comme prospère: son économie était fondée sur le troc et sur la vente, dans les centres urbains (Corté, Bastia, Cervione), mais également aux Pisans puis aux Génois, de cérales,de châtaignes (Castagniccia oblige, developpée par Gênes), d'animaux ( i reghjoni) et de bois. Un réseau dense de chemins empierrés permettait de relier chaque communauté aux autres, dans la piève elle-même et vers l'extérieur, pour favoriser les échanges: le pont d'Alisu, sur la Bravone, (voir ICI l'article sur le pont d'Alisu) s'inscrivait dans cette volonté, initiée par Gênes, de dynamiser les échanges à son profit.

Vers les XV et XVIème siècle on assiste au développement d'une catégorie d'agriculteurs aisés qui forment une classe sociale de notables et qui, pour bien assumer leur rang, édifient ce que l'on appelle aujourd'hui "des maisons de notables" que l'on peut encore admirer aujourd'hui dans nos villages. Cette classe sociale perdurera d'ailleurs jusqu'au XIXème siècle, créant ainsi des "dynasties" de propriétaires terriens aisés ayant des domaines jusqu'en plaine où se pratiquait une agriculture très extensive: il en était ainsi des Lepidi ou des Panzani à Zuani. Non loin de là, dans le Fium'Orbu, Gênes avait même facilité, dans son propre intérêt, l'installation de ces propriétaires fonciers en créant des "precoji" (domaines fonciers). Il devait certainement en exister dans la plaine d'Aléria, possédée en grande partie par des propriétaires de pianellu, Zuani et Moïta.

L'essor de la piève a été lié au début du XXème siècle, pour partie, aux prospections géologiques qui ont permis l'exploitation de la mine de Matra d'où l'on extrayait du sulfure naturel d'arsenic (réalgar) pour alimenter notamment l'industrie militaire. La fermeture de la mine, après presque un demi-siècle d'exploitation, en 1946, a porté un coup fatal à la seule activité hors agriculture de la micro-région, accentuant son déclin. Malgré des campagnes de prospection minière et une grande richesse géologique (pas rentable !), aucune autre exploitation n'est venue remplacer celle de Matra. Comme le disait avec humour un ancien élu local à qui on reprochait le très mauvais état des routes départementales, c'est le développement du réseau routier qui a favorisé l'exode rural vers la plaine: avait-il tout-à-fait tort ?

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