Les pièves d'Opino et de la Serra

En 1785, pour des raisons dont il n'est pas fait état, la piève d'Opino ne veut plus être rattachée à la piève de la Serra. Il est vrai que ce mariage forcé entre les deux pièves date de 1770; antérieurement à cette date, Opino et Serra formaient des entités religieuses et administratives distinctes, issues d'une organisation mise en place par les pisans lorsque ceux-ci exerçaient leur souveraineté sur la Corse. En fait, au lendemain du rattachement de l'île à la France, la piève d'Opino n'était constituée que de deux communautés: Tallone et Zalana; l'administration royale avait probablement jugé que c'était bien peu démographiquement pour être une "vraie" piève, d'où cette fusion. Alors, pourquoi cette volonté clairement affichée de vouloir se séparer de la Serra ? des rivalités de clans ? des différents d'ordre politique ? L'abbé Letteron qui a publié en 1906 le procès-verbal relatant ce problème "territorial" dans le bulletin de la Société des Sciences Naturelles et Historiques de la Corse, ne donne pas d'explications: il se contente de publier le texte du procès-verbal in extenso, sans plus de détails.

 

Ce procès-verbal, nous le publions à notre tour, traduit en français car le texte originel est en toscan. Nous espérons avoir été fidèles dans la traduction.

 

Procès-verbal de l’assemblée des Etats de Corse lors de la séance du 03 juin 1785

 

Leurs Excellences Messieurs les Commissaires du Roi ont porté à notre connaissance que la Province d’Aléria demandait à ce que les pièves de Serra et d’Opino, réunies sous cette appelation commune, soient séparées, comme cela était le cas par le passé, et comme c’est encore le cas aujourd'hui sur le plan spirituel.

Leurs Excellences Messieurs les Commissaires du Roi ont ajouté que cette requête formulée par la piève avait été portée à l’Assemblée de leur province ; ils avaient également souligné que la demande de séparer les deux pièves avait déjà été exprimée et portée à la connaissance des Etats de Corse de 1781 ; demande à laquelle sa Majesté était peu disposée à accéder, mais qu’elle autorisait néanmoins l’Assemblée générale à délibérer à ce sujet ;

- que les Etats, lors de leur session du 21 juin [1781] avaient décidé qu’ils ne pouvaient approuver la séparation de la piève de la Serra avec celle d’Opino ; - que même si dans les temps il avait existé une piève d’Opino à part, celle-ci ne comptait plus aujourd’hui que quarante feux [foyers] concentrés à Tallone ; et c’est pour cette raison que les deux pièves avaient été réunies pour n’en former plus qu’une ; en conséquence ils ne voient ni la nécessité ni l’intérêt de rétablir une piève qui ne comprendrait que quarante feux ;

- que la Province d’Aléria avait répondu que l’Assemblée générale de 1781 avait été mal informée ;

- que l’ancienne piève d’Opino comprenait non seulement la communauté de Tallone avec quarante-huit feux, mais aussi celle de Zalana, formée des hameaux de Vignale, Pianello, Costarella et Volfasca, sans compter les maisons isolées, le tout pour au moins cent quarante feux, au total une piève d’au moins deux cents feux ;

- que la piève de la Serra, composée des communautés de Moita, Matra, Ampriani, Zuani et Pianello apporteraient au moins trois cents feux ; qu’en conséquence elle [la Province d’Aléria NDLR] insistait pour demander la séparation des deux pièves.

Leurs Excellences Messieurs les Commissaires du Roi ayant conclu que la requête de la Province d’Aléria n’était pas motivée et ne présentait aucune utilité avérée, sa Majesté jugeait pour sa part qu’elle ne méritait pas d’être adoptée.

 

La présente délibération est approuvée tant par leurs Excellences Messieurs les Commissaires du Roi que par Messieurs Vescovo de Mariana, Manuelli Vicaire général d’Aléria, les frères Andrea et Francesco Colonna.

 

L’abbé Lucien Auguste LETTERON est né en 1844 dans l'Yonne. Après des études au grand séminaire il est ordonné prêtre et enseigne au petit séminaire d'Auxerre jusqu'en 1874. Parallèlement, il est reçu à l'agrégation de lettres et embrasse une carrière d'enseignant. Après un passage au lycée de Sens puis de Châteauroux, il est affecté au lycée de Bastia en 1878, établissement qu'il ne quittera qu'en 1905, à la retraite.

Passionné d'histoire, esprit brillant et curieux de toutes les sciences, il fonde en décembre1880 la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse.

Sa curiosité et sa passion pour la Corse conduisent l'abbé LETTERON à fréquenter assidument la bibliothèque de Bastia. Avec d'autres membres de la Société, il publie de nombreux articles et diffuse des textes inédits, notamment ceux relatifs aux procès-verbaux des assemblées représentatives. Ces procès-verbaux, rédigés pour la plupart en italien, sont une source d'information sur la situation politique de l'île, notamment durant la période où celle-ci tombe sous la coupe de la monarchie française, puis sous la période révolutionnaire.      Une rue de Bastia porte son nom.

 

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