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Les Maures en Corse

Les Maures en corse

En général, sur le plan historique, c’est à Gênes que l’on pense lorsqu’on évoque une présence étrangère en Corse ; parfois aux Romains et à leurs colonies, implantées surtout sur la façade est de l’île. On peut évoquer aussi la présence française. On évoque bien plus rarement les musulmans qui pourtant se sont manifestés dans le monde insulaire (Corse, Sardaigne, Sicile, Malte, Chypre et Baléares notamment) dès le VIIIème siècle, et jusqu’au XVIIIème siècle, soit durant près de mille ans. Il est vrai que cette présence n’a été ni politique, ni militaire stricto sensu, ni commerciale, ou si peu. Cette présence musulmane a été le fait de groupes qui avaient un facteur commun, l’islam comme religion, mais qui arrivaient d’horizons divers et qui sont appelés différemment selon leurs origines géographiques et les époques: maures, sarrasins, barbaresques, arabes, dont le but était de piller et de s'enrichir par le commerce des esclaves.

La Méditerranée est autant une mer musulmane qu’une mer chrétienne durant toute la période médiévale et moderne: tout l’enjeu est là, à savoir la domination arabe contrecarrant les dominations pisane, génoise, vénitienne et espagnole. La géographie l’impose : la partie nord du mare nostrum est aux mains des chrétiens, les rivages sud et est sont aux musulmans.

Toutefois, la nature des rapports entre le monde musulman et la Corse est particulière: ici, point de relations commerciales ( la Corse vit en quasi autarcie et sur le principe de l'autosubsistance et du troc, la population locale est pauvre) ou diplomatiques, pas de conflits armés au sens strict du terme, mais une occupation endémique et violente. L'île est essentiellement un réservoir d’esclaves et de nourriture pour des Barbaresques venus pour la plupart des côtes du Maghreb. Le sentiment d’unité nationale n’existe pas puisque l’île est sous le joug de l'église de Rome et des puissances maritimes étrangères, et qu’elle subit la présence de petits chefs locaux plus aptes à se faire la guerre qu’à s’unir contre la présence étrangère, quelle qu’elle soit. La pax romana n'est plus qu'un lointain souvenir et l'organisation féodale de la société insulaire n'apparaîtra que plus tard. A noter que ce sentiment national prendra naissance très localement à partir du XIIIème siècle mais ne pourra être un ciment qui lie unanimement  les corses entre eux puisque des rivalités internes les amènent à se faire la guerre. Même Pascal Paoli a eu en son temps à faire face à des ennemis de l’intérieur, favorables à Gênes ou aux français. 

Les premiers Maures débarquent en Corse en 713, sous la poussée des conquêtes de l’Islam ; Barcelone était déjà entre leurs mains depuis 711, soit moins d’un siècle après l’hégire. Pour notre île, contrairement à ce qu’affirmait le chroniqueur médiéval Giovanni della Grossa, il n’y a pas eu véritablement de conquête avec colonisation de peuplement, mais des « coups de mains » extrêmement rapides et meurtriers. La technique est simple: partant de leurs bases situées sur les côtes du Maghreb ou dans quelques golfes déserts proches, leurs felouques, particulièrement rapides et bien adaptées à la navigation en Méditerranée, accostent la Corse, là où ils peuvent se mettre à l'abri. Avec une grande vélocité et par surprise, ils attaquent les villages dont les habitants n'ont généralement que des moyens limités pour réagir. « En 809 ils (les Maures) ravagèrent Aléria et les villages environnants. Toute la population, excepté les vieillards et les infirmes, fut enlevée pour être réduite à l’esclavage » (histoire générale de la Corse, J-M. JACOBI 1835). Les corses implorèrent Charlemagne de les secourir. En 814, ce fut chose faite et l'empereur envoya un de ses fils, Charles, régler le problème au prix de durs combats et d'une bataille navale acharnée devant Mariana… A cette occasion, sur terre, les autochtones se battirent vaillament aux côtés des troupes impériales.

En 846, les Barbaresques se servirent de la Corse comme base logistique avancée pour lancer une vaste expédition militaire (jihad par l'épée) contre Rome, en prenant d'abord pied en Ligurie, expédition qui, heureusement pour le Saint Siège, tourna court. Malgré tout la présence barbaresque sur l'île obligea de nombreux corses à fuir vers Rome tandis que d'autres se réfugièrent dans les montagnes.

En 1014, la situation se corse (désolé !) pour les sarrasins: génois et pisans s'unissent pour envoyer une flotte combattre les envahisseurs conduits par le "roi" Mogehid: toujours au prix de lourdes pertes, la flotte barbaresque est mise à mal et la mer tyrrhénienne débarrassée provisoirement de ses importuns visiteurs.

Dès la fin du XIème siècle et jusqu'à la fin du XIIIème, Pisans génois et vénitiens règnent en maîtres sur cette partie de la Méditerranée: leur poids politique, économique et militaire décourage les aventures barbaresques, du moins près des rivages corses et sardes. Les croisades, qui débutent en 1095, se lancent à l'assaut de l'hégémonie musulmane et la création des états latins d'Orient fait que la chrétienté domine non seulement l'Occident, mais également l'Orient. Tout le mare nostrum appartient aux puissances navales qui le bordent. Malgré tout, quelques razzias ont encore lieu sur les rivages de notre île, mais sans commune mesure avec ce que les corses avaient subi au IXème siècle: des pirates agissant pour leur propre compte,.. Par contre, sur l'île, pisans et génois s'affrontent pour la possession de la Corse...mais c'est une autre histoire...

zone d'opérations barbaresques

A la fin du XVème siècle, le monde change: 1492, découverte de l'Amérique, les derniers Maures sont chassés d'Espagne, Venise ne survit que sur le souvenir de sa splendeur passée, Pise a disparu en tant que puissance maritime, la République de Gênes est en proie à des difficultés de tous ordres... bref, la Méditerranée est détronée depuis longtemps au profit de la Hanse et bientôt le commerce vers les Amériques va porter un coup fatal aux puissances méditerranéennes; de plus les états latins d'Orient ont disparu et la conquête de l'Islam est consolidée en terre Sainte, laissant la suprématie commerciale aux marchands arabes. L'Empire Ottoman est au fait de sa puissance tant sur le plan territorial qu'économique: la civilisation de l'Islam rayonne à travers un empire qui va du Maghreb (Maroc exclu) aux rives du golfe Persique, en passant par les Balkans. D'autre part, point d'histoire rarement évoqué, François 1er s'était allié aux turcs contre Charles Quint, laissant le champ libre en Méditerranée aux galères barbaresques: Toulon fut d'ailleurs une de leurs bases stratégiques pendant plusieurs mois avec la complaisance du roi de France.  Dans ce contexte, le calme dont profitait l'île s'estompe... En 1429 "l'île jouissait d'une paix profonde.... lorsque les Maures opérèrent un débarquement dans la partie méridionale du pays. Les habitants de la Valle.... dans le canton de Sarrola, surpris par les barbares, ne songèrent d'abord qu'à chercher leur salut dans la fuite; mais revenus de leur frayeur, ils se rallièrent bientôt et se mirent en mesure de repousser les agresseurs... De toute part, on accourt aux armes. Les Africains, attaqués avec vigueur, sont forcés de se retirer sur la montagne de Tavaco, où, après une longue résistance, ils sont exterminés." La flotille barbaresque, forte de seize bâtiments armés, resta entre les mains des vainqueurs. (histoire générale de la Corse, op. cit.). Néanmoins, les incursions se multiplient et les ravages aussi.

femmes embarquées de force par les Barbaresques

En 1571, la Sainte Ligue, coalisée à l'initiative du pape Pie V, inflige une terrible défaite à l'Empire Ottoman lors de la bataille navale de Lépante: si l'empire est durement frappé et perd la maîtrise d'une partie de la Méditerranée, il n'empêche que des pirates barbaresques, venus des côtes du Maghreb, continuent sporadiquement d'écumer la mer tyrrhénienne et de commettre des razzias sur l'île.

I Capicursini è Lepante

Plus que des marins de la flotte ottomane, ce sont des sortes de "francs-tireurs", des pirates, qui agissent pour leur propre compte en se livrant au pillage et à la capture d'esclaves (marchandise toujours aussi prisée et à forte valeur ajoutée sur les marchés orientaux et utilisée accessoirement pour faire avancer leurs galères lorsque le vent faiblit)... les Corses en font encore les frais..... tout comme les sardes et les autres insulaires.

esclaves capturées par les Barbaresques

Pourtant, entretemps, Gênes organise la défense des corses pour se prémunir des incursions barbaresques, non pas que les Corses soient l'objet de toute sa bienveillante sollicitude, mais surtout parce que la mer tyrrhénienne est un point de passage obligé entre l'île, les escales commerciales, et la République. Les Barbaresques, par leurs activités de piraterie, portaient préjudice à un état dont les finances étaient déjà mal en point. Les génois vont prendre la décision de faire construire tout un réseau de tours littorales destinées à prévenir les attaques barbaresques (voir l'article "e sentinelle di a pieve" pour plus de détails en cliquant ICI). Ce réseau d'alerte, construit aux XVIème et XVIIème siècles, a fait preuve d'une certaine efficacité, d'autant que les Corses de l'intérieur - du moins ceux dont les moyens financiers le permettaient- avaient organisé la protection de la population en bâtissant des tours d'habitation fortifiées dans les villages les plus "visités" ( cliquez ICI pour voir l'article sur les tours génoises). L'aide génoise a quand même eu ses limites car la construction et la garde des tours étaient à la charge des autochtones. De plus, comme Gênes avait interdit aux Corses d'être armés, (armes à feu), ces derniers n'avaient que leurs épées et leur courage pour se défendre: toutefois, cela ne les empêchait pas de posséder des arquebuses qu'ils cachaient aux yeux des autorités et des soldats génois. A titre d'anecdote, pour la forme et pour se montrer "légalistes", les habitants de Zuani avaient demandé au doge de Gênes l'autorisation de porter des arquebuses lors de leurs déplacements: suspicieuse comme tout, la République avait refusé d'accéder à leur requête.

felouque barbaresque

Paradoxalement, c'est la présence anglaise ( qui devient alors une grande puissance maritime et navale à partir du XVIIème siècle, alors que Gênes s'enfonce dans les difficultés) qui fera reculer la piraterie barbaresque car les anglais ne pouvaient admettre que leurs vaisseaux fussent interceptés par des pirates venus des côtes du Maghreb. Au début du XIXème siècle, suite au déclin de l'Empire Ottoman, la présence ne constitue plus une menace pour les Corses qui, repliés dans les villages de l'intérieur, ont abandonné les plaines et les littoraux aux moustiques et à la malaria.

Certains historiens prétendent que les arabes ont laissé en Corse des traces de leur civilisation: Morosaglia, Moriani, sarraginella, sont les noms de lieux les plus cités... traces ou cicatrices ?

VOIR AUSSI: l'origine de la tête de Maure    e sentinelle di a pieve    tours génoises

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