Une mésaventure de l'évêque d'Aléria

Même si la vie dans les villages de la piève de la Serra n'était pas aussi agitée qu'à Paris ou même dans les villes corses, il y avait parfois des événements dont l'importance les faisaient remonter jusque dans la capitale et dans tout le royaume de France. 

C'est ce que relate la gazette de France dans son numéro daté du vendredi 27 mars 1772:

" de Bastia le 19 MARS 1772.

" l'évêque d'Aléria* étant parti, le 21 du mois dernier, de Corté, l'une des principales villes de son diocèse, pour se rendre à Cervione, lieu de sa résidence, fut attaqué, à un quart de lieue de Zuani, par une troupe de bandits. Il étoit escorté par trente grenadiers & accompagné du Baron de Guerne, son frère, Lieutenant-de-Roi, de l'Abbé de Creux, Chanoine d'Auxerre, l'un de ses grands vicaires & et du sieur Giacobi, Chanoine de son chapitre et son Promoteur. Les bandits, qui étoient en embuscade, attendirent pour faire feu, que l'évêque et sa suite fussent engagés au bas d'une descente rapide, dans un endroit tortueux & entouré de rochers. L'avantage de leur position & les rochers qui les couvroient, ne permirent pas au détachement qui escortoit l'évêque d'Aléria, de les poursuivre. Malgré le feu continuel qu'ils firent, pendant un quart-d'heure, il n'y eut qu'un grenadier qui fût atteint & blessé très légèrement."

paysan corse en embuscade

Pour expliquer le contexte:

la Gazette était un périodique  créé en 1631 avec l'appui de Richelieu. Théophraste Renaudot en fut un des plus illustres dirigeants. Imprimée tous les vendredis, la gazette comportait quatre pages surtout consacrées aux affaires de la Cour, aux grands du royaume, ainsi qu'à des événements concernant des affaires politiques ou diplomatiques ( le Point, l'Express ou le Nouvel Obs avant l'heure en quelque sorte). En 1762, elle changera de titre pour celui de la Gazette de France, organe quasi officiel du gouvernement royal.

*Jean Joseph Marie de Guernes a été évêque d'Aléria de 1770 à 1792.

Cet événement eut un certain retentissement à la cour car à travers l'évêque d'Aléria et son frère, tous deux "continentaux", c'est l'autorité de la monarchie qui a été bafouée, et cela d'autant plus que des soldats français avaient été pris pour cible. Le fait que des ecclésiastiques de haut rang aient été visés n'a pas dû plaire à Rome, non plus.

On peut s'interroger sur ces "bandits": de vrais brigands de grand chemin à la recherche d'objets de valeur et d'argent ? des rebelles à l'autorité française, prêts à en découdre ( la Corse n'était devenue française que depuis 1768 et certaines zones comme le Fium'Orbu ou le Boziu, entre-autres, n'étaient pas encore "pacifiées") ? La deuxième hypothèse est la plus plausible: dans ce cas, l'évêque d'Aléria et ses grenadiers auraient été en présence de maquisards au sens propre du terme, bien avant les maquisards de la seconde guerre mondiale. En tous cas de bien piètres tireurs: un quart d'heure de tirs nourris dans un guet-apens et un seul blessé léger parmi les soldats ??? il est vrai que leurs armes n'étaient pas aussi sophistiquées que celles d'aujourd'hui et qu'ils avaient en face des soldats professionnels.

Le lieu probable de l'embuscade semble se situer entre San Cumiziu et le col de la Fuata, au-dessus de Zuani. C'est par ces lieux que passait le chemin reliant Corté à Cervione.

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©  septembre 2011

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